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Ines Kozic 

 

 

Penses-tu que la pratique de la danse ait influencé ta perception du mouvement, de l'anatomie et du corps humain en général ?

Ma perception de l'anatomie, oui complètement. Avant de travailler en photo avec des modèles, quand j'étais plus jeune, ma problématique était déjà axée sur le corps, en tant que matière (des sculptures en papier ou en cuir sur la peau, les organes). Je crois qu'en tant que danseurs, notre perception physique et sensorielle est accentuée et que notre "conscience corporelle" est plus vive. On apprend à sentir notre centre de gravité, les points d'appui, les faiblesses… J'étais très intéressée par ce qui se passait "à l'intérieur" [...].

Aujourd'hui je reste plus en surface, mais toujours sur ces questions de corporalité car dans mes séries photographiques il est presque exclusivement question d'ornements. Ma série Crawlytales avec les insectes m'a permis de travailler sur la phobie, et la sensation de répulsion à l'idée d'imaginer sa propre peau parcourue de petites bêtes […].

 

Tu arrives à manifester une certaine rébellion, un côté très sombre dans tes œuvres, qui semblent pourtant empreintes d'une certaine sérénité. Comment expliques-tu cela, au travers de ta démarche ? Comment parviens-tu à ce résultat ?

Je crois que l'explication la plus plausible réside dans mes propres goûts. Je suis d'instinct attirée par ce que l'on pourrait qualifier de "sombre", la musique que j'écoute est brutale, les films que je regarde sont violents, la poésie que je lis est agressive et torturée, mais toujours, toujours avec une certaine finesse. Le glauque pour le glauque ne m'intéresse pas. L'enjeu est de trouver un juste milieu entre morbide et poétique, c'est en tout cas ce que je m'efforce de faire. Pour mon propre travail, il serait très facile d'aller vers quelque chose de sanglant, ou que l'on pourrait qualifier de "trash", mais quel serait l'intérêt ? Je ne suis pas là pour dénoncer quoi que ce soit, je veux seulement faire des images douces voire éthérées au premier abord, comme des pièges visuels dans lesquels l’œil à envie de se perdre, avant d'être confrontée à ce qu'il y a de plus étrange chez moi. Je travaille d'après mes névroses, mais pour la plupart, elles sont soigneusement domptées.

 

Tu te places d'un côté comme de l'autre de l'objectif et d'une certaine façon, on pourrait dire que tu es à la fois réalisatrice et actrice. Pourtant, parviens-tu à exprimer les mêmes choses, les mêmes impressions que ce soit aussi bien en tant que modèle qu'en tant que photographe ? Également, j’imagine que le fait de connaître les deux côtés du “métier” peut aussi t’aider à mieux appréhender les choses.

A l'heure actuelle, je préfère travailler avec des modèles par confort. Il est beaucoup plus simple de poser tout mes petits dispositifs sur le corps de quelqu'un d'autre que sur le mien, puisque je suis déjà bien occupée à gérer la lumière et les réglages. Je crois également que je n'ai plus besoin de m'interroger sur mon image, je l'ai fait pendant des années lorsque j'étais moi-même modèle, mais aujourd'hui j'ai assez de recul pour ne plus ressentir expressément le besoin de me mettre en scène. Ma relation avec le corps, pour le mien comme pour celui des autres, est complètement apaisée.

 

Ton travail diffère des photographies prises sur le vif, qui admettent une certaine part de hasard, et tu affirmes d'ailleurs que tes œuvres sont le fruit d'une véritable préparation préalable, d'une « partie laborieuse » et technique. Ainsi, si ton travail n'est pas basé sur la captation de l'instant, comment alors l'idée de l’œuvre finale émerge-t-elle à l'origine dans ton esprit ?(en particulier pour tes deux séries principales : qu’est-ce qui t’a influencé? Comment as-tu aboutit à ce résultat?)

C'est absolument vrai, et c'est quelque chose qui à la fois va me rassurer, mais aussi me limiter. Je fabrique tout moi-même, les coiffures en faux-cheveux, tissés, les dessins sur la peau, les assemblages d'ossements, le vernis brillant sur les insectes que je ramasse, tout. Le fait de passer des heures à préparer une image (80h pour le triptyque "sleeping beauties" avec les cils XXL !) me permet de la visualiser de plus en plus précisément, de lui "donner corps", et d'arriver le jour de la séance avec une idée assez nette du résultat que je veux. Pas trop non plus, afin de n'être pas déstabilisée et de pouvoir rebondir si ça ne fonctionne pas du premier coup […].

 

Tu as dit que « l'art servait aussi à exprimer des forces destructrices, comme un exécutoire », qu'entends-tu par là et de quelle façon cela se manifeste-t-il dans ton travail ?

J'ai été une adolescente atteinte de TOC assez lourds, et très perturbée par des disparitions tragiques et des histoires de familles douloureuses. J'ai mis une dizaine d'année avant de réussir à sortir du schéma vicieux de l'autodestruction, mais si tout était à refaire je ne changerai pas une virgule, parce que tout ce que j'ai vécu de difficile surgit d'une manière ou d'une autre dans mes images, même lorsque je ne m'y attends pas du tout, et je crois, sans prétention aucune, que c'est ce qui donne de la force à mon travail. La photo me permet de faire la paix avec mes angoisses car elle les fige et les transcende, comme un mot final. C'est là l'exécutoire.

 

Tu as seulement 22 ans, et pourtant, de nombreux articles ont déjà été écrits sur toi et ton œuvre, et tu as effectué de nombreuses collaborations. Comment expliques-tu cela et comment as-tu réussi à te faire connaître dans le milieu de la photographie ?

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la photo, j'avais déjà une assez bonne culture artistique, mais j'étais complètement dans mon coin, je ne connaissais personne. Alors j'ai commencé à envoyer des mails aux gens dont j'aimais le travail, d'abord juste pour leur dire que j'étais touchée par ce qu'ils faisaient, et plus tard pour leur proposer mes services en tant que modèle. Je me suis intégrée à ce réseau comme ça, et j'ai eu de la chance, car mon univers a suscité un certain intérêt et j'ai pu travailler avec la plupart des personnes que j'appréciais artistiquement, et puis parfois humainement aussi, sans avoir le sentiment de devoir "faire mes preuves".

En ce qui concerne les articles que l'on a écrit sur moi… j'ai un joli nombre de followers sur le net, mais ce n'est pas démesuré non plus. En revanche, je m'efforce de faire des images en y mettant le plus de sincérité artistique et le plus de qualité technique possible. Parfois je rate et je ne le montre pas, parfois je recommence, mais je ne publie jamais une image dont je ne suis pas convaincue. Je suppose que les gens sont sensibles à ça, et peut-être qu'ils sentent la part de vécu qu'il y a derrière… [...]

 

Une question que je me pose à propos de tous les photographes en général : comment choisis-tu tes modèles ? Est-ce que ce sont des amis, des connaissances ? Où attends-tu quelque chose en particulier d'eux ?

La plupart des photographes que je connais choisissent leur projet en fonction de ce qu'un modèle leur inspire. Moi c'est exactement l'inverse : j'ai une idée, et je cherche la personne qui va le mieux correspondre à ce que j'ai en tête. J'établis mes critères : quelle couleur de cheveux, quel âge, quelle morphologie ? Ensuite, soit je contacte une de mes connaissances, soit je poste une annonce sur internet, et je laisse la magie des réseaux opérer. Certaines personnes ne sont pas modèles du tout, mais ce n'est pas grave, je n'ai besoin "que" de leur corporalité (leur barbe, leur tatouage, leur crâne rasé…) pour le reste je sais ce que je veux donc je peux les diriger et les mettre à l'aise si besoin.

Ceci étant, dans l'absolu, je préfère travailler avec des amis, des gens que je connais bien. [...]

 

Caroline Hagen

 

Décris-toi en quelques mots.

Bonjour lecteurs ! Je suis une jeune femme de 22 ans qui s'apprête à débuter en septembre sa 5ème et dernière année aux Beaux-Arts de Rennes. J'ai un parcours assez classique, j'ai découvert l'art à 13 ans, et je suis entrée à l'école le jour de mes 18 ans juste après avoir obtenu mon bac option Arts Plastiques et Danse. […] Il m'a fallu trois années d'errance dans mes recherches, pendant lesquelles j'ai touché un peu à tout les ateliers, et exercé comme modèle et danseuse pour des artistes. Ce n'est qu'après un redoublement qui m'a fait remettre mes ambitions en question et une grosse rupture dans ma vie personnelle que j'ai trouvé mon médium de prédilection : la photographie, qui m'a permis d'obtenir en 2014 un Diplôme National d'Arts Plastiques (DNAP). [...]

Actuellement je suis assistante stagiaire d'une professeur en arts dans un lycée de ma région natale ; je me rend compte que l'enseignement est en passe de devenir une vraie vocation pour moi, et que je l'envisage dans mon avenir post-diplôme, en parallèle à ma pratique photographique.

Oeuvre choisie

Le mot de l'artiste...

 

Au début de mes études, j'avais eu comme sujet de photographie "le trompe l’œil", et de fil en aiguille je m'étais intéressée aux marques sur la peau, à l'origine du tatouage, aux différentes significations… C'est un milieu qui me parle beaucoup. J'avais à l'époque imprimé des gravures à l'eau forte (que j'avais réalisées) sur du papier cuisson, afin de les décalquer sur la peau. Cela m'avait poussée à réfléchir sur ce qu'implique le fait de "marquer" quelqu'un, a fortiori un modèle, quelle est la part d'abnégation nécessaire, est-ce une façon de posséder le corps d'autrui ? Bien sûr, je gardais ces réflexions pour moi, mais toujours est-il que ces questionnements sont toujours restés dans un coin de ma tête.

L'année dernière, je suis tombée par hasard sur une tapisserie à l'imprimé toile de Jouy, que j'adore. Elle représentait des couples flirtant dans un cadre bucolique. A ce moment je travaillais sur le personnage de la princesse de conte de fée, princesse qui attendrait son prince depuis tellement longtemps qu'elle aurait commencé à perdre la tête, Raiponce tissant sa propre chevelure par désespoir, la belle au bois dormant dont les cils ont poussé démesurément… Ces petits couples dessinés m'ont donc inspirée, et je les ai reproduit sur les mains de ma modèle, qui elle attend depuis tellement longtemps sa moitié, que le tissu autour d'elle a commencé à déteindre sur sa peau. Elle porte sur elle les stigmates d'une histoire qu'elle n'a donc pas encore vécue.

Quelques mots de Galerie 0...

 

Le fond de la photographie ne se distingue pas précisément et seul l'élément central apparaît de façon nette aux yeux du spectateur. De façon évidente, et au-delà de cet effet « flouté », il y a un écho entre le motif des draps et celui des mains, créant ainsi une sorte de lien, de connexion, mais aussi une réelle harmonie et une certaine volupté entre les draps et les mains du personnage.

Le visage est coupé, le personnage n'a pas vraiment d'identité et cela crée – plus qu'une part de mystère – mais aussi un effet dérangeant sur le spectateur qui aimerait en savoir plus sur cette jeune femme tatouée.

Finalement, le motif de la tapisserie représente une femme qui semble habillée de façon bourgeoise et cela contraste alors totalement avec la nudité et la simplicité de la jeune femme ici photographiée, qui paraît presque vouloir cacher cette nudité, dans un élan de pudeur, et par un mouvement empreint d'une certaine délicatesse. Même sa chair, sa peau claire, pure accentue ce décalage puisqu'elle se détache complètement de ce fond de draps plissés, froissés et chargés en décor. Il semble alors que le temps n'ait pas modifié cette beauté naturelle qui reste intacte et éternellement jeune, mais le motif a gagné sa peau et ses mains deviennent presque un réel vêtement pour former une barrière avec sa nudité et cacher ses seins nus.

En même temps, ce sont ces mains tatouées qui nous renvoient à l'utilisation du corps humain comme d'un outil dans le processus de création artistique, et qui rappellent sans nul doute une utilisation détournée des Anthropométries d'Yves Klein : au lieu que ce soit le corps qui « marque » la toile, c'est ici le corps qui est lui-même sujet à une marque particulière, indélébile, symbole du temps qui passe.

C.H.

Galerie

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