Joris EA

1. Tout d'abord, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes? Avez-vous eu une formation artistique, ou bien êtes-vous plutôt autodidacte? Quels ont été vos débuts, comment avez-vous réussi à vous faire connaître, et à vous créer une place dans le milieu de la photographie?

Je pratique la photo depuis une dizaine d'années, essentiellement pendant mes séjours à l'étranger (qui sont bien souvent au Japon). Je suis passionné par l'esthétisme et la volonté (de la plupart) des gens d'embellir certaines choses. Que ce soit en peinture, en dessin, en photographie ou même dans le cinéma. En 2009, lors d'un voyage au Japon, un ami m'a fait découvrir la photo de rue, l'appareil Reflex constamment dans la main et j'ai accroché ! On pouvait facilement capturer les images du quotidien qui nous échappaient. Du coup, au début de mes photographies, je cherchais prioritairement à prendre des portraits mais les envies évoluent et, naturellement et instinctivement, je me suis orienté vers la street photography: prendre des photos au hasard de mes promenades, parfois des portraits, parfois des scènes (classiques ou originales) qui sont un reflet du quotidien dans lequel nous évoluons...En 2012 j'ai sollicité la bibliothèque de Lyon 3ème qui cherchait à faire une exposition photo sur le thème du Japon puis en 2013 j'ai exposé mes photos nippones à la Japan Touch d'Eurexpo et en ce moment j'expose quelques clichés au salon de thé MaMi dans le 7ème arrondissement. L'expérience est intéressante car les photographies sont présentées dans un lieu cosy à la décoration épurée mais néanmoins soignée. Les clients viennent avec la volonté de se détendre et l'exposition leur permet un petit moment d'évasion.

2. Les personnes que vous prenez en photo ont-elles conscience d’être photographiées ? Prennent-elles la pause ? ou est-ce plutôt des « photos volées » ?

Je n'arrive pas à faire poser les gens du coup les moments sont "volés". Ainsi, la scène et les gestes sont naturels. Je trouve qu'une fois que la personne sait qu'elle est photographiée, son comportement change et ça se voit sur la photo. J'ai beaucoup d'admiration pour la photographie en studio mais je n'y arriverais pas !

3. On a parfois l’impression qu’il y a une certaine complicité entre le sujet de la photographie, et vous, et cela amène à se poser la question suivante : les personnes photographiées sont-elles connues, ou non ?

Je ne connais aucune personne que je photographie dans la rue. Par contre, quand je peux, je n'hésite pas à leur montrer la photo une fois prise pour créer du dialogue car c'est un peu le but d'une passion: être partagée (d'où les expositions)

4. Dans la présentation de votre vernissage, on a qualifié votre travail de « poésie urbaine », et il est vrai que votre travail se porte essentiellement sur le milieu urbain. Pourquoi ce choix ? Que signifie cette expression pour vous, et comment envisagez-vous l’espace urbain, et l’habitat citadin en tant que tel ?

"poésie urbaine" ça sonne presque comme un oxymore mais oui, je suis attiré par les villes. J'aime les fourmilières d'asphalte où les gens vont d'un point à un autre presque machinalement. Je trouve très inspirant le fait de mêler l'architecture ou les panneaux publicitaires à la photographie donc le milieu urbain est idéal pour moi (d'autant plus que j'adore les passages piéton!)

5. Quelle est votre technique de photographie ? est-ce que vous êtes à l’affut de « l’instant parfait », ou est-ce que vous êtes plutôt du genre à mitrailler le quotidien, pour en capter tous les instants ?

Alors j'ai un reflex Nikon(numérique) et un appareil compact Ricoh que je garde toujours sur moi quand je me promène à l'étranger. Très souvent je prends des photos sans viser pour avoir des poses naturelles. Parfois, quand je trouve quelque chose de beau ou d'original, je prends des photos au reflex mais je n'arrive pas à rester immobile. Par la suite, je ne regarde pas les photographies immédiatement, j'attends en général plusieurs mois (et parfois des années!) histoire d'avoir un regard frais...

6. J’ai remarqué que beaucoup de photographies sont en noir et blanc : pourquoi ce choix du noir et blanc ; et y a-t-il beaucoup de travail de retouches sur vos photographies ?

Oui, j'adore le noir et blanc. Je trouve le monochrome intemporel et poétique. La photo prend tout de suite un autre sens... J'aime beaucoup le travail de Daido Moriyama (qui m'inspire grandement), d'Elliott Erwitt, de Diane Arbus et j'ai un très bon souvenir d'une exposition de Nobuyoshi Araki en 2007). Au niveau de la retouche, j'essaie d'en faire le moins possible, j'utilise des filtres lightroom que j'ai créé (bien souvent le noir et blanc est intense comme celui de Moriyama) et je recadre quand c'est nécessaire. C'est tout.

7. Vos photos ont été réalisées lors de plusieurs voyages : Londres, la Chine, le Japon, … Qu’est-ce que vous retenez de ces lieux de façon générale, et qu’est-ce qui vous inspire dans ces endroits (en particulier pour le Japon, qui semble être une réelle source d’inspiration dans votre travail) ? Et quels sont vont projets pour la suite ?

Le fait de visiter des villes étrangères et de pouvoir partager ma vision du quotidien là-bas est une réelle satisfaction. J'ai beaucoup de mal à faire de la photographie à Lyon (déjà à cause de la réaction des gens qui se sentent souvent agressées). A l’étranger, la situation est toute autre: je découvre une ville par mon regard par la photographie. Concernant le Japon, c'est un pays que j'affectionne tout particulièrement depuis mon enfance. Les traditions se mêlent aux nouvelles technologies, on peut trouver un temple derrière un gratte-ciel, c'est une société de consommation et de passions... Beaucoup de gens aimeraient y aller mais ils se mettent des barrières (langue, prix, distance etc). Du coup, la photographie leur permet d'y aller d'un regard...En ce moment, l'exposition est en place jusqu'au 12 mars, j'y vais régulièrement afin de rencontrer les curieux. Par la suite, j'aimerais faire une autre exposition sur Lyon (un défi personnel!) et peut être auto-éditer un livre de street photography (un autre défi)

Oeuvres choisies

Le mot de l'artiste...

Concernant la première photo, il s'agit d'une photo prise au compact sans viser. J'ai vu cette fille, à la coiffure intemporelle et le hasard fait bien les choses: le cadrage est intéressant, la pose de la fille est parfaite! En mettant le filtre N&B, le mur a pris un aspect industriel qui apporte beaucoup. Cette photographie a beaucoup plu à l'exposition et j'en suis très content.

Quelques mots de la Galerie 0...

Dans un premier temps, le regard semble se poser sur le personnage, et ce qui désarçonne le spectateur est sans aucun doute l'expression de nonchalence qui émane de cette jeune femme. Le travail en noir et blanc va alors renforcer cette expression, pour la banaliser, et rendre à la photographie un rôle de témoignage objectif. Bien évidemment, le cadrage de la photo surprend aussi : le personnage est "délaissé" sur le côté, alors que les deux tiers de l'oeuvre sont occupés par ce mur : le spectateur ne sait plus quel est l'objet de la photo. Par ce sentiment, on va finalement regarder la jeune femme sous un angle particulier, comme si le spectateur lui-même se cachait pour l'observer.

Le mot de l'artiste...

La deuxième photo a été prise à Lyon (Saxe), il s'agit d'un reflet mélant un mannequin, une enseigne de grande consommation et une personne au milieu. J'aime beaucoup croiser les univers via les reflets. (par contre les voitures me gênent beaucoup dessus mais c'est les inconvénients de la photo en ville !)

Quelques mots de la Galerie 0...

Cette photographie est très intéressante par le jeu de reflets qu'elle propose. Il y a un grand contraste entre ce mannequin installé dans sa vitrine, "pâle" et sans vie ; et tout cet univers qui grouille devant lui, à savoir toute cette circulation, ces passants pressés, et toute cette vie qui déambule de façon générale. D'un autre côté, on pourrait considérer que ces deux monde se rapprochent, étant donné qu'ils se rapportent tout deux à un espace éminemment urbain et citadin... Enfin la scène est vue au travers des yeux du mannequin, qui apparaît ici comme un témoin inquisitif, un observateur inactif derrière sa vitrine, qui souhairterait rejoindre ce monde infatigable, sans cesse en activité.

Le mot de l'artiste...

La dernière photo a été prise à Londres. Il y a plusieurs détails sympa: la cabine téléphonique qui sert de fenêtre sur la scène urbaine classique, une deuxième cabine qui permet une redondance du motif et de la couleur et le taxi qui arrive sur la droite en reflet... C'est typiquement le genre de photos que j'aime faire. Plein de petits clins d'oeil que je ne vois pas forcement quand je prends la photo...

Quelques mots de la Galerie 0...

Encore une fois, cette photographie nous propose une réflexion sur le point de vue, puisqu'ici, le regard du spectateur se confond avec l'objectif de l'appareil photo. Nous sommes alors "cachés" dans cette cabine, c'est-à-dire à la fois séparés de ce monde, mais en même temps tellement proches de celui-ci, puisque nous pouvons l'observer dans ses moindres détails, et que même les voitures semblent traverser la cabine, comme si elle n'existait pas. On peut même dire que nous suivons presque ce personnage en vert, au centre de la composition. De plus, les grilles présentes sur la cabine peuvent renvoyer d'une cetaine façon au quadrillage de mise au point sur l'appareil photo, voire même au quadrillage présent pour réaliser une persepective, selon la technique d'Alberti. Et cette fenêtre sur le monde d'Alberti, peut être considérée d'une certaine façon comme l'ancêtre de la photographie, surtout dans un cas comme celui-ci.